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Direction artistique (1er partie)

 
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François Kokelaere
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MessagePosté le: 24 Feb 2002 12:21    Sujet du message: Direction artistique (1er partie) Répondre en citant

Nous tentons avec ce texte, d'amorcer une réflexion globale, en perpétuelle évolution, dans le domaine très sensible du secteur culturel et artistique et plus particulièrement, avec des thèmes s'argumentant autour de: - la production d'artistes, la promotion et la diffusion, le management, le marché international et l'organisation en général, d'après l'expérience que nous avons pu acquérir depuis 1987, dans ces différents domaines auprès de la Direction Nationale de la Culture de Guinée mais aussi, comme gérant de la Société Wongaï Productions disposant d'une licence d'entrepreneur de spectacle en France et qui collabore avec des structures de diffusions internationales.

Ce secteur est particulièrement complexe par le fait qu'il doit prendre en considération de multiples aspects qui touchent autant au formel qu'à l'informel, et que ses opérateurs doivent avoir des compétences dans des domaines aussi variés que: la gestion, la législation, l'administration, la communication, la direction et la conceptualisation artistique, la technique, la culture spécifique du pays, les pratiques des institutions internationales, la psychologie spécifique d'environnements culturels donnés, etc...


a) Une réflexion sur le fond

Nous voudrions placer la réflexion dans le domaine purement professionnel. Il nous semble que les artistes issus du continent africain, quand ils ne font pas de la musique très "commerciale", à de rares exceptions près, ont très peu de chance de tourner (nous ne parlons pas d'une tournée sporadique subventionnée mais de tournées qui s'inscrivent dans le cadre d'un plan de carrière), faute d'encadrement en terme de direction artistique, de management, de production et de diffusion.

Notre propos est donc de tenter de définir, sans complaisance, le paysage culturel et le terrain guinéen et plus généralement, africain; de réfléchir aux méthodes à employer et aux moyens à mettre en oeuvre afin que les compagnies africaines aient accès, au même titre que les autres, à une carrière qui s'inscrive dans le long terme et qui leur permette de pratiquer leur art dans des conditions professionnelles.


b) Quelques remarques

Nous avons pu constater quelques comportements ou attitudes des artistes du Sud:

- en règle général, la relation à l'argent reste fantasmagorique et par définition, génère une sorte de paranoïa vis à vis des intermédiaires, des intervenants, avec une grande difficulté à parler "argent" et à admettre que les différents partenaires doivent dégager un bénéfice ou un salaire

- nombreux sont les encadreurs bénévoles, proches d'associations à but non-lucratif ou d'organisation non gouvernementale qui aident, par humanisme ou par plaisir personnel, les troupes, dans un but non-commercial et donc non-astreint à une rigueur et à des objectifs précis qui devront être évalués avec objectivité. S'installe alors une relation amicale qui permet de créer un espace affectif sur lequel on jouera en cas d'échec ou de non-réalisation du travail demandé. Cet encadrement s'avère efficace dans un premier temps car il peut palier à une absence mais, il se trouve rapidement limité dans le temps, faute de réelles compétences. Dans un second temps, cet encadrement spontané éprouve de grande difficulté à "passer la main" à de véritables professionnels.

- les artistes, le plus souvent, mystifient l'acte commercial en s'imaginant que la production gagne des millions alors que leurs salaires leur paraissent modestes. Faute d'informations, ils ne tiennent pas compte, à la fois des frais importants engagés pour produire un groupe ou monter une tournée et des frais récurants d'une société de production. Ils ne sont absolument pas préparés à la réalité, aux difficultés des tournées internationales. Ils n'en connaissent ni les règles, ni les codes, ni les us et coutumes

- les institutionnels, hauts-fonctionnaires polyvalents sont rarement, de part leur fonction, des spécialistes et ne peuvent suivre les projets sur du long terme du fait de la rotation trop rapide des fonctionnaires (tout les trois ou quatre ans). Très souvent, leur champ de compétence se limite à la perception très extérieure qu'ils ont ou croient avoir de ce métier. Bien peu d'entre-eux, l'on réellement exercés ou se sont vraiment donnés la peine de le comprendre. Il leur arrive parfois d'être les spécialistes d'une région, d'un genre mais combien d'entre-eux ont subit la rigueur des tournées internationales? Combien d'entre-eux connaissent la réalité de la vie des artistes africains et du choc des cultures en Afrique et lors des tournées? Combien d'entre-eux connaissent la réalité des codes de la scène internationale et de ses disparités? Dans tous ces cas de figures, il est très difficile d'envisager de travailler sur du long terme, de construire une carrière, d'obtenir un comportement, une attitude vraiment professionnels avec des artistes africains, faute d'une formation spécifique.


c) La gestion d'une troupe: dilettantisme ou professionnalisme?

Gérer une troupe, l'encadrer, la produire, c'est à dire engager des investissements importants en terme financiers et humains n'a rien du dilettantisme: c'est un métier à part entière avec ses règles, ses codes, ses réseaux, ses méthodes et ses pratiques.

A quoi servent les financements (souvent très conséquents), qui "aident" momentanément une troupe à faire quelques festivals une année et qui ensuite, ne peuvent être reconduits? Cette situation peut s'avérer très frustrante pour les artistes car elle leur montre ce qu'ils seraient en mesure de faire, sans leur en donner ni les moyens, ni la règle du jeu. C'est ainsi que l'on risque de casser les groupes qui plus tard, une fois la manne providentielle passée, sont totalement démobilisés, désarmés et ont le sentiment d'être "abandonnés" sans comprendre pourquoi!

N'est-il pas plus réaliste d'établir de vrais projets, de diluer les investissements dans le temps et de laisser ainsi les groupes progresser et mûrir à leur rythme?


d) Scène internationale ou place du village: mêmes réalités

Tout groupe, quel qu'il soit, du plus rudimentaire au plus élaboré, est confronté globalement, aux mêmes réalités et aux mêmes préoccupations. C'est toute la différence fondamentale entre l'assistanat qui crée, nous le savons depuis longtemps, des êtres infantiles, dépendants et le professionnalisme qui responsabilise.

L'artiste le plus traditionnel qui va de village en village est très organisé et sait s'adapter parfaitement aux réalités de son marché dont il connait tous les secrets. Le grand problème des organismes et des institutions internationales qui "oeuvrent" pour ce secteur est que, d'une part, elles disposent de très peu de professionnels, ce sont le plus souvent de hauts-fonctionnaires assez peu spécialisés qui doivent faire face à de multiples problèmes et d'autre part, qu'elles saupoudrent plus qu'elles ne travaillent sur le fond et ne donnent que très rarement les règles du jeu qui sont très complexes, diversifiées et bien difficiles à appréhender.

Bien formés et informés, les artistes africains seraient ainsi beaucoup moins fragiles face aux pressions réductrices du show-business et de ses tentations de standardisations.


e) A propos du risque de dérapage et de récupération

Cet encadrement "risque de déraper: à force de vouloir séduire l'Occident à tout prix, les créations africaines, obligées souvent de s'aligner sur les normes du marché international, ne finiront-elles pas, même en s'inspirant des réalités locales, par perdre un peu de leur authenticité tant recherchée actuellement? (sic L'Événement du Jeudi n°557)". Bien sur, il y a toujours un certain risque de se fourvoyer quand on est confronté au show-business mais enfermer les africains dans cette pseudo-idée "d'authenticité" dont on ne sait plus à quoi elle correspond dans l'Afrique contemporaine, est encore bien plus suspect. Qui peut encore croire aujourd'hui que les artistes africains qui se produisent sur les scènes du monde entier sont "d'authentiques" broussards, même s'ils pratiquent un art traditionnel? N'est-ce pas avec ces idées que l'on enferme les artistes africains à donner dans le pseudo rituel, la mystification de transe et autres vaudouïtées? N'est-ce pas par cette attitude que l'on incite les européens à garder une image complètement caricaturale et télévisuelle de l'Afrique entre la misère somalienne, les massacres du Rwanda, les safaris du Kenya et les tam-tams de la brousse?

Le problème d'un spectacle n'est pas qu'il soit moderne, traditionnel ou "authentique" mais bien qu'il soit "bon" et que les artistes aient quelques choses à dire.

N'est-ce pas pas un peu insinuer que les artistes africains ne seraient pas capables de s'intégrer au marché international et de faire "la part des choses" tout en gardant leur "vérité" (ce qui revient à les prendre pour des parfaits crétins!)?

Ceci n'entraîne-t-il pas une sorte de suspicion concernant les différents métiers du spectacle? Gagner de l'argent et en faire gagner aux artistes reste un vieux fantasme très "français" qui véhicule une image péjorative d'impressario véreux, de manager approximatif, d'argent facile et d'artistes un peu niais.

Le danger de ces attitudes est la caricature; comme si il n'y avait pas d'espace entre le grand show-biz de Salif Keïta ou de Youssou N'Dour et un griot traditionnel qui joue du N'Goni! Bien au contraire, il y a un espace énorme, relativement libre et dont de larges pans restent encore à inventer et à explorer (qui aurait pu prévoir l'énorme succès de "l'atypique" Césaria Evora et la longévité d'un Salif Keïta?).


f) Assistanat ou professionnalisme?

Le problème n'est pas que les blancs aient peur que leur petits protégés africains tombent entre les pattes de "l'épouvantable ogre capitaliste triomphant" mais bien que ces mêmes artistes africains apprennent à travailler avec tous leurs partenaires qu'il soit du Sud ou du Nord. Dans le monde du spectacle, que ce soit en Occident ou au fin fond de la brousse, le problème reste le même; l'artiste doit être sérieux, responsable, organisé, avoir du talent et produire quelque chose qui correspond à un créneau donné et il en va de même pour tout organisateur. C'est tout simplement la loi universelle de l'offre et de la demande. Il est donc urgent de former et d'informer les artistes (qui comprennent vite) de tout ceci et de les rendre tout simplement, "compétitifs", quelque soit leur créneau; et que l'on ne vienne pas nous dire que cela risque de tuer une certaine "authenticité"...

Le principe même de la "World music" n'est-il pas le mélange des genres?

Il faut que les artistes du Sud apprennent à travailler avec les producteurs, qu'ils soient du Nord ou du Sud (mais aussi avec les metteurs en scène, les directeurs artistiques, les techniciens, les administrateurs, etc...); à l'inverse, il faut que les producteurs du Nord apprennent à collaborer avec les artistes du Sud de façon plus pédagogique, afin que ceux-ci puissent intégrer et s'approprier les techniques occidentales dans les différents domaines. Encore faut-il que chacun y mette un peu du sien. Demander aux artistes de se définir, apporter des pistes de réflexion et clarifier des points ou des secteurs qui restent pour la plupart mystérieux, éviteraient bien des fantasmes et des mystifications!

Bien sur, tout est compliqué et les genres se croisent et s'enchevêtrent, mais à la place de l'assistanat qui infantilise et dé-responsabilise, de l'aide ponctuelle aux lendemains qui déchantent, du mélange des genres humanitaro-socio- politique, n'est-il pas possible d'instaurer une véritable relation professionnelle qui ne dessert aucun des partenaires, avec pour postulat de base, la compétence et le talent?


g) Développer le partenariat privé-publique

Ne faudrait-il pas développer le partenariat entre privé et publique? Vaste débat... N'est-ce pas l'avenir d'une collaboration efficace sur le terrain africain. L'institution dispose des moyens financiers, d'une vision globale, d'une politique culturelle et les professionnels ont pour eux des compétences spécifiques, la connaissance et la pratique du terrain. Les ponts entre les deux secteurs sont encore trop rares et trop frileux, si bien que des financements importants sont dilapidés avec très peu de résultats objectifs sur le long terme et finalement avec beaucoup de dégâts pour les artistes. Sur la base d'une confiance commune, avec le support de contrats précis, même moraux, de cahiers des charges explicites, d'évaluation objectives, des opérateurs privés pourraient aisément s'engager à obtenir des résultats significatifs. Il n'y a pas d'incompatibilité majeure, seulement un énorme protectionnisme, une grande frilosité, une lourdeur administrative, un manque d'idées réalistes et un déficit de projets cohérents qui tiennent compte des réalités culturelles du terrain.


h) Le concept d'ensemble national est-il toujours d'actualité?

Le concept "d'ensemble national", complètement dépendant de l'institution, correspond-il encore à quelque chose, aujourd'hui en Afrique?

Le partenariat entre société privée et ensemble national s'avère extrêmement conflictuel, pour mille et une raisons liées essentiellement à l'absence de motivation des artistes nationaux et aux limites de l'encadrement technique.

Autant les troupes privées permettent une relation simple et directe, conscientes que le fruit de leur travail leur reviendra, source d'une grande motivation, autant, au sein des ensembles nationaux, priment les habitudes prises par l'encadrement, la pesanteur administrative et l'absence d'une réelle motivation. La tentation sera forte de spolier les artistes de leur cachet au nom d'intérêts personnels ou afin de palier aux insuffisances de l'État en terme d'investissement. Comme s'il appartenait aux artistes de financer l'incapacité de l'État à investir sur la culture?


i) Le problème de la fuite à l'étranger

Si un énorme travail de sensibilisation, une étude approfondie afin que les artistes investissent dans leur pays d'origine, un véritable plan de carrière, un ancrage familial, n'ont pas été faits, alors toutes les conditions sont réunies pour que les artistes fuient à l'étranger, c'est à dire ne rentrent pas à la suite d'une tournée à l'extérieur et tentent l'aventure de la clandestinité, moindre maux à leur réalité quotidienne africaine...

Comment demander à un artiste africain, même raisonnable, de vivre de son art dans son pays alors que chacun sait que les conditions de la diffusion ne sont pas réunies en Afrique, alors qu'il reste planté sur place après avoir fait quelques tournées sporadiques dans des festivals prestigieux qui lui ont donné le goût de l'extérieur et qu'il continue à voir ses copains partir dans ce même circuit si ponctuel et aléatoire?

C'est pourquoi la production et la diffusion d'artistes africains est devenue un métier à haut risque car la responsabilité pénale des producteurs et des diffuseurs et engagée à chaque tournée.

François Kokelaere
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