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Les Années Djembe (2nd partie)

 
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François Kokelaere
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MessagePosté le: 24 Mar 2002 19:42    Sujet du message: Les Années Djembe (2nd partie) Répondre en citant

- Percussions africaines ou percussions d'Afrique ?

Le terme de "percussions africaines" reste imprécis et inexact. Comme si l'on pouvait réduire l'Afrique a une entité homogène. L'Afrique est un continent avec une multitude de cultures différentes; il existe autant d'instruments de percussions et de façon d'en jouer qu'il y a de régions et d'ethnies. Même si l'on peut trouver de nombreuses similitudes dans les pulsations d'Afrique de l'Ouest, aucun protocole scientifique sérieux n'a établi de constantes objectives entre les musiques d'Afrique. Même si la pulsation ternaire (6/8 ou 12/8) se retrouve souvent sur le continent africain, elle existe aussi, et dans un contexte proche, dans la musique celtique par exemple! Bien sur, la majeure partie des cultures africaines associent, d'une façon ou d'un autre, la percussion à la danse mais ceci est un phénomène mondial et non pas typiquement africain.

Le terme "percussions d'Afrique" ne serait-il pas plus approprié?

- Percussions traditionnelles ?

On entend par tradition: "la transmission d'informations de génération en génération" (Dic. Petit Robert) mais la tradition est en perpétuel mouvement et subit les multiples influences des rencontres entre les peuples, au gré des méandres de l'histoire. Les rythmes africains font l'objet d'incessantes transformations:

- d'abord, parce que les djembé fola (joueur de djembé en langue Maninka) même si dans la tradition, appartenaient à la caste des forgerons, aujourd'hui avec le bouleversement des codes sociaux, tout un chacun peut devenir joueur de tambour, la transmission du savoir est donc beaucoup moins rigoureuse - la conséquence première en est une grande mobilité des rythmes, qui se transforment au gré de l'humeur de chaque percussionniste

- ensuite, mais à un moindre niveau, parce qu'il s'agit d'une transmission orale donc plus fragile. Les percussions d'Afrique et les rythmes qui les accompagnent, tels qu'ils nous arrivent en Europe, ne sont plus très "traditionnels" dans la mesure où, transformés de main en main, ils n'ont plus beaucoup de rapport avec la façon dont on les joue au village. Même si la tendance générale est de les resituer dans leur contexte traditionnel; comme une sorte d'introspection vitale, comme si les différents partenaires de ce courant musical avaient soudain compris l'urgence de ce processus
inversé ?

D'autre part, chacun sait bien que l'écoute de la polyrythmie reste relative; principalement quand elle est si sophistiquée. Comment traduire sur un seul instrument une polyrythmie de cinq, six ou sept rythmes différents?

Comment adapter sur un djembé un rythme qui se joue sur un kryin (tambour xylophone à lèvres)? La sensation de la pulsation reste liée à l'environnement culturel de l'auditeur. A titre d'exemple, combien d'européens perçoivent le rythme Malinké Dununba à l'envers par rapport au danseur ?

- Percussions ethniques, typiques, extra-européennes ?

La classification elle-même n'utilise que des raccourcis très approximatifs. Comme si le musicien européen n'arrivait pas à se positionner clairement par rapport à ces percussions venues d'ailleurs ? Comme s'il se sentait obligé de les laisser à la périphérie de ses connaissances? Comme si le percussionniste "classique" reproduisait le même schéma méprisant que peuvent avoir envers ses percussions, les autres musiciens de l'orchestre (les percussionnistes connaissent les quolibets incessants qu'ils doivent subir de leurs collègues!).

- Percussions ethniques : "Ethnique: ce qui est propre à une ethnie" (Dic. Petit Robert): et pourtant la même percussion peut être jouée par des ethnies complètement différentes, dans des régions et des contextes différents, on ne peut donc pas utiliser le terme "d'ethnique" qui d'autre part, dans certaines bouches, peut avoir une connotation raciale suspecte.

- Percussions typiques : "Musique typique: musique de caractère", nous dit le dictionnaire Petit Robert, "Qui caractérise un type et lui seul; qui présente suffisamment les caractères d'un type pour servir d'exemple, de repère (dans une classification)". Typique d'Afrique? Et que se passe-t-il alors si l'instrument est joué, fabriqué, ailleurs qu'en Afrique comme c'est le cas aujourd'hui; il n'est donc plus "typiquement " africain?

- Percussions extra-européennes : "extra", du latin "en-dehors", signifie qu'elles viennent de régions situées en-dehors de l'Europe. Le terme n'est pas faux mais imprécis.

- L'origine du djembé ?

L'origine du djembé comme l'origine du rythme, n'est pas à ce jour clairement élucidée. Peut-être que les pierres frappées entre-elles pour obtenir le feu de la pré-histoire étaient-elles déjà, une action percussive et ces signes parallèles inscrits au fond des grottes, la première conscience du rythme? L'instrument semble lié toutefois, dans des temps moins éloignés, à des cérémonies rituelles où seuls quelques initiés pouvaient jouer le tambour et les rythmes sacrés. Quant à sa forme, qui n'est pas sans rappeler celle du pilon, a-t-elle influencée la fabrication du premier instrument?

Comment le tambour s'est-il popularisé pour accompagner les danses profanes, les travaux des champs, reste un mystère ?

Durant les périodes reculées, on peut imaginer que rien ne différenciait les percussionnistes du Mandingue. Leur aire géographique se situait plutôt là où se trouvaient les ethnies d'appartenance Malinké (Malinké signifie en langue Maninka: "homme du Mali"). Le mot même de "djembé" est d'origine Maninka et on ne lui connait pas de sens particulier autre que celui de désigner le tambour du même nom.



Dans l'ancien temps, chez les Malinkés de Guinée, le djembé était l'affaire des forgerons, caste qui travaillait le fer et donc disposait des outils pour creuser le bois. Le vocable "djendé" en maninka, désigne la hache qui sert à creuser le bois dont on fait le tambour. Il ressemble étrangement à "djembé" ou plutôt djèmbè ?

Wa Kamissoko nous éclaire dans son ouvrage "Soundjata, la gloire du Mali" - vol 2 où il nous dit: "les forgerons jouaient d'un très vieil instrument de musique appelé djèmbèrèni ... à l'aide des deux index". Faut-il y voir l'ancêtre du djembé.

L'histoire du djembé reste encore à préciser par des spécialistes.

- Le joueur de djembé est-il "griot" ?

En Afrique de l'Ouest aujourd'hui, la tendance générale est d'appeler tous les musiciens "griots" alors que le terme s'appliquait autrefois, dans l'aire d'influence Mandingue, à certaines familles, héritières d'une culture transmise oralement (les Kouyaté, les Diabaté, etc...)

(2). Lors de leurs séjours en Europe, nombreux furent les djembé fola à se dénommer griot car l'appellation y était chargée d'une certaine noblesse; on l'associe aisément à celle de "troubadour" qui est plus élégante que "joueur de tam-tam"! Dans la tradition Mandingue, les griots ne jouaient pas le djembé mais essentiellement le balafon, la kora, le n'goni et chantaient.
Aujourd'hui, les djembé fola n'appartiennent plus à une caste, une famille, une corporation, particulière; au village ils sont : cultivateurs, éleveurs, etc... Les djembé fola d'origine griotte sont rares et représentent l'exception (parmi ceux-ci, le burkinabé Adama Dramé et le guinéen Papa Kouyaté). Il est vrai qu'ils rencontrent souvent les griots lors des cérémonies et par amalgame, on les associent alors que leurs fonctions sont bien distinctes: le djembé fola fait danser lors des fêtes ou des cérémonies populaires, ou encourage les cultivateurs lors des travaux agraires, tandis que le griot fait l'éloge de ses commanditaires et raconte l'histoire des grandes épopées du Mandingue. Il est détenteur de la mémoire de la communauté. "Chez les Malinké-Hamana, les djembé fola accompagnent les griottes qui connaissent les chants et les chants anciens. Les griottes entament les chants correspondants aux événements, suivies quelques secondes plus tard par les batteurs" (3).

Le griot est formé au sein de sa famille dans un cadre relativement strict (2) alors que le djembé fola se forme comme il peut, au gré des rencontres.

Julien André nous dit dans son article paru dans le magazine Percussions n° 58 que "le djembé et le dunun ... peuvent être joués sans distinction de caste (chez les Malinkés)" mais se contredit quelques lignes plus bas en disant "la caste des nyamakalas (à laquelle appartiennent les forgerons) exercent des métiers interdits aux nobles (horon)". Il faudra un jour préciser pourquoi certains djembé fola sont issus des familles nobles comme Mamady Keïta, Gbanworo Keïta, etc... S'agit-il, d'un phénomène récent lié à l'éclatement de la structure féodale provoquée par les régimes marxistes, de circonstances générées par la vulgarisation de l'instrument ou d'autres raisons qui restent à définir?

Au Mali, les choses ont l'air plus complexes puisque les griots pouvaient jouer de tous les instruments et le djembé était plutôt considéré comme un instrument mineur et rarement soliste. Il faudra là aussi préciser les choses!

Toujours est-il qu'aucun nom d'un grand percussionniste n'a traversé les âges alors que l'on peut imaginer que certains furent exceptionnels? Dès que ceux-ci cessent de jouer, leur nom disparaît de la mémoire collective; pourtant, le jeu du djembé et ses rythmes se sont perpétués depuis la nuit des temps.

- Une certaine mystification

Les vingt premières années de l'apparition de la percussion africaine en France furent placées sous le signe d'une certaine mystification. Les européens, en perte de repères, en forte demande d'exotisme, de "vraies valeurs naturelles et premières", prisonniers de leur vision caricaturale de l'Afrique et des africains teintée d'humanisme judéo-chrétien ou de relents néo-colonialistes (la frontière est souvent fragile!), empêtrés dans un corps coincé par une éducation rigide, établirent avec les premiers percussionnistes africains venus en France une relation passionnelle, leur donnant une place de maîtres spirituels, voire même de gourous et quelquefois de pères. Pour la plupart analphabètes, illettrés ou d'une scolarité très réduite, issus de milieux populaires, d'une culture "autre", les musiciens africains se retrouvaient dans un rôle pour lequel ils n'étaient pas du tout préparés. Ils tentèrent dans un premier temps de reproduire les schémas africains de la relation du maître à son apprenti (le terme "maître" doit être ici entendu dans son contexte africain qui est plus proche de celui de "patron", "employeur", un peu comme l'artisan et son apprenti) mais c'était sans compter sur la volonté "d'exister en temps que tel" des européens. Par respect de leurs employeurs, les musiciens africains comprirent bien vite qu'ils ne devaient pas les contredire et jouèrent un jeu dangereux qui s'avéra à long terme pernicieux: leurs fragiles et intéressés admirateurs furent les premiers à les rejeter quand les informations commencèrent à circuler vers la fin des années 80 et englués dans un rôle de situation, certains vécurent ce rejet comme des relents de colonialisme. Comme si, après leur avoir "volé" leur savoir, leurs élèves les rejetaient pour aller vers d'autres reproduire le même scénario!

- De la pitié au rejet

Jusqu'à une époque encore récente l'africain "faisait pitié", il fallait "l'aider" ou "l'assister" selon les principes du bon sauveur judéo-chrétien et sa propension expiatrice à sauver le monde du mal et de l'ignorance... "Le militantiste expiatoire" (4), coupable de la colonisation, se devait de lui venir en aide. Le bon samaritain européen pouvait alors expier la faute impardonnable de ses pères, se racheter d'un passé affligeant et aider cette pauvre Afrique à sortir de sa misérable condition tiers-mondiste mais sans oublier au passage, avec la plus cynique hypocrisie, de razzier ses matières premières! "Nous autres, Européens, avons été élevés dans la haine de nous-mêmes, dans la certitude qu'au sein de notre culture un mal essentiel exigeait pénitence. Ce mal tient en deux mots: colonialisme et impérialisme" (4).

Depuis peu, suite à l'extrême médiatisation des conflits sanglants de la Somalie, du Rwanda, du Zaïre et du Congo, l'africain fait peur! La transe a tourné au drame et ne fait plus sourire. Les images horribles des massacres, les miliciens effrayants armés de mitraillettes ou de machettes, ont achevé les dernières pulsions salvatrices d'un Occident toujours prêt à prononcer une condamnation définitive. Peut-être faut-il y voir la raison pour laquelle depuis quelques années, le marché des spectacles africains s'est complètement effondré. L'Afrique n'intéresse plus, elle fatigue, elle horrifie, elle désespère et pourtant, les cours de djembé ne désemplissent pas? Faut-il y voir une contradiction ou une logique implacable? En fixant dans des livres les rythmes africains, en mettant la percussion africaine dans les classes, les européens et leur indéfectible inconscient impérialiste, ne sont-ils pas en train de s'approprier la culture africaine et d'évincer les africains qui finalement, finissent par les déranger. Au fond, le djembé comme les puits de pétrole, la bauxite, l'uranium, les diamants, n'a qu'un seul défaut, celui d'être africain ! N'est-ce pas pour des raisons d'appropriation, que les européens se targuent, inconsciemment, de sauver la percussion africaine en la réduisant à des notes sur le papier? Les européens auraient-ils intérêt à ce que les africains, détenteurs du savoir, mais éprouvant des difficultés à transmettre une connaissance, restent à l'écart du processus de reconnaissance? Il ne faudra pas s'étonner alors, si les africains ont la tentation de resserrer les rangs, de former des clans interdits aux "blancs" et de se retrouver sur le prétexte de la négrité afin de réagir au clivage.

- Le bégaiement affligeant de l'histoire

Cette situation est extrêmement perverse car à long terme, elle peut entraîner des comportements racistes, des deux côtés et, tomber dans la formidable injustice de nier l'identité africaine, sa spécificité, ses qualités pour ne voir que les défauts des artistes qui peinent à s'intégrer.

D'autre part, les africains destabilisés, ont le sentiment qu'on leur vole leur art, leur culture. Ils ressentent cette situation comme un bégaiement affligeant de l'histoire. Ils se sentent spoliés sans bien comprendre ni comment, ni pourquoi (manque de formation donc de recul) mais d'autre part, ils font aussi peu d'efforts pour s'intégrer (combien ont fait la démarche de s'alphabétiser à leur arrivée en France) et se laissent souvent entraîner dans une facilité, un laxisme auxquels pourtant, ils n'étaient pas habitués lors de leur passage dans les ballets en Afrique où la discipline et la rigueur sont draconiennes.
Ce sentiment est exacerbé par des pseudo-intellectuels africains cautionnés par des institutions complaisantes ou mal-informées, qui, avec des doubles discours, entretiennent avec cynisme la mystification ambiante - une sorte de formidable "omerta" où l'on ne doit rien dire, ne pas dévoiler les secrets de la réalité, comme un réflexe de survie face à l'ancien colonisateur blanc (les Mandingues ont-ils oublié que l'empire du même nom avec à sa tête "le Napoléon africain" Soundjata ,la en son temps, allégrement colonisé toute l'Afrique de l'Ouest! Le vivent-ils avec une quelconque culpabilité?) - et par les pionniers qui ont souvent tendance à verrouiller le secteur sur la base du très africain "droit d'aînesse", qui cache en fait les inévitables et très humaines, velléités de pouvoir et de réussite personnelles teintées d'opportunisme.

- Le courant de la "percussion africaine"

Ce que l'on entend par "percussions africaines", en France, est un courant musical relativement récent apparu, de façon significative, dans les années 70 à Paris et véhiculé par des africains francophones issus des anciennes colonies françaises - Afrique de l'Ouest: Guinée, Sénégal, Mali, Côte d'Ivoire, Burkina Faso, fortement influencé par la culture Mandingue, Bénin, Togo, influencé de culture Yorouba et Afrique Centrale: Zaïre, Congo, influencé de culture Bantou - venus pour étudier, pour raisons politiques ou plus simplement pour travailler. En Angleterre, le même vocable "percussions africaines" évoquera les percussions venues des anciennes colonies britanniques: Ghana, Nigeria, de culture dominante Yorouba.

Mais les temps changent et la relation du percussionniste européen au percussionniste africain (et vice-versa), progresse. Elle est passée du stade de conflictuelle et d'ambiguë, à simplement ... compliquée! Aujourd'hui, le dialogue est possible notamment grâce à l'exemple de l'adaptation, de l'intégration de Mamady Kargus Keïta au système européen. Mais pour un artiste qui a su trouver sa place dans le paysage musical (et commercial) européen combien se débattent encore dans les affres de la précarité? Le poids de l'histoire n'est pas encore passé et la réflexion ne fait que commencer.

- Le déplacement du savoir

Tributaire de la mystification, les informations réalistes et objectives commencent seulement à immerger. Comme évoqué plus haut, les rythmes qui circulaient étaient pour la plupart issus du filtre des ballets inter-ethniques qui résident principalement (pour les plus grands) dans les capitales. Il s'en suit une double désolidarisation :
- les grands batteurs sont appelés à résider en ville et perdent le contact avec le village, source d'information première et pour des raisons pratiques, les nouveaux batteurs sont recrutés en zone urbaine.
- ils sont appelés à jouer des rythmes qui viennent d'autres ethnies que la leur (5). Le phénomène est évident en Guinée où la grande majorité des jeunes batteurs sont issus de l'ethnie Soussou (où assimilés Soussou) ethnie qui réside en Basse-Côte où se trouve la capitale Conakry. Ces jeunes Soussou doivent jouer le répertoire des rythmes Malinké (la Haute Guinée est située à quelques 700 kms de la capitale) ou de la forêt (800kms) qu'ils adaptent à leur façon, sans avoir aucune connaissance de leurs sources.

Famoudou Konaté reste un des seuls à faire des retours fréquents au village de Haute-Guinée et à former réellement ses proches aux rythmes de son ethnie Maninka. Aboubacar Fatouabou Camara forme quant à lui des jeunes Soussou aux rythmes de la Basse-Côte car à force de se disperser, ils en oublient les rythmes de leur ethnie d'origine.

Le travail de Johannes Beer et de Paul Engel avec Famoudou Konaté pour la Collection du Musée de Berlin sur les rythmes des Malinké-Hamana, notamment, est particulièrement édifiant (3). Il reste un des rares enregistrements où le livret détaillé et très complet fait office de référence. Les rythmes sont ici situés dans leur contexte culturel et agrémentés d'une solide analyse musicale.

- Le phénomène Mamady Keïta

Mamady Kargus Keïta, pur produit du ballet guinéen (ex-Ballet Djoliba), reste un des artisans majeurs de cette vulgarisation. Il est le premier à avoir mis en place un véritable réseau d'écoles et de stages (avec option tourisme culturel en Guinée) et à proposer un cursus d'étude de très haut niveau sur plusieurs années, qui devrait déboucher prochainement sur des ouvrages pédagogiques. Installé en Belgique, Mamady est le premier à s'être véritablement adapté à la demande occidentale de cours magistraux ouverts à tous, très bien organisés et planifiés. L'occidental y trouve un encadrement rassurant, un répertoire cohérent et progressif donnant la possibilité d'évaluer à tout moment son niveau objectif et un véritable souci pédagogique, tout cela baigné de la bonne humeur africaine quasi "obligatoire" dans ce créneau. Le label "Mamady Keïta" sera assurément un signe de qualité dans les années à venir. Reste à savoir si cette approche, tellement adaptée à la réalité et aux attentes des européens (son succès étant bien la preuve qu'elle correspond à une réelle demande) saura aussi former des musiciens-percussionnistes et sortir les "frappeurs de tambours" de leurs velléités martiales? La Percussion n'ayant de raison d'être que si elle est musicale. Est-ce qu'à force de vouloir tout écrire, tout expliquer, tout comprendre, on ne risque pas de passer à côté de l'essentiel de la "percussion africaine": sa pulsation, sa vie interne, sa force d'évocation, sa convivialité ?

- Le délicat dilemme du batteur expatrié

Les grands batteurs, quand ils vivent en Europe, jouissent d'une position sociale enviée et à de rares exceptions près, ne peuvent admettre devant leurs élèves qu'ils ont appris tel ou tel rythme de troisième ou quatrième main dans un ballet. Cela n'est pas assez exotique pour leurs élèves; ils seront tentés, par la force des choses, de raconter un authentique rituel vécu au village alors que le rythme en question ne sera, dans son contexte initial, utilisé que par des femmes dans une région inaccessible et reculée, d'une ethnie très fermée, dont ils ne connaissent ni la culture, ni la langue. A titre d'exemple, en Guinée, les rythmes de l'ethnie Baga (6) sont mis à toutes les sauces mais qui connait réellement leur contexte d'origine? Dans son pays, le batteur n'osera pas jouer les rythmes qu'il ne connait pas (excepté sous couvert de la protection collective d'un ballet) alors qu'à l'étranger, il sera prêt à raconter n'importe quoi pourvu que ses élèves soient satisfaits. Il se doit d'avoir réponse à tout pour ne pas perdre la face!

De ce côté là aussi, les choses progressent et les batteurs qui savent s'adapter ont compris qu'aujourd'hui les informations circulaient vite et que les européens vont dans les villages les plus reculés d'Afrique vérifier leurs dires. Ils se montrent alors beaucoup plus circonspects et précis.

Petit à petit, c'est un véritable répertoire qui se met en place et on commence enfin à sortir du subjectif, du passionnel et de l'émotionnel pour entrer dans une phase de reconnaissance de la percussion d'Afrique plus respectueuse de sa formidable richesse et de son infinie diversité.

- Clivage: "batteurs de ballets-batteurs populaires" ?

Il y a une trentaine d'années, avec les indépendances, apparaissaient en Afrique les premiers ballets nationaux qui allaient regrouper (le plus souvent dans la capitale) les meilleurs danseurs et percussionnistes issus des villages et des régions reculées, dont la mission était de représenter l'identité culturelle des jeunes nations. Habitués aux cérémonies populaires, ils devinrent, par la force des choses, des professionnels aguerris qui durent adapter leur jeu à la chorégraphie et à la mise en scène des ballets. Naît alors un clivage qui va déterminer la façon d'appréhender la musique: collective ou personnelle, et qui va conditionner le comportement social, la façon de penser la musique et, d'une certaine manière, la façon de poser la main sur l'instrument :
1) Les musiciens dont la première fonction est de jouer dans les ballets auront un jeu plus collectif et développeront une écoute particulière

2) Les musiciens qui jouent dans les cérémonies populaires, sans avoir beaucoup travaillé dans les ballets structurés, auront un jeu plus personnel

- Aspects psychologiques

Interviennent des aspects psychologiques, des comportement caractéristiques, liés à l'habitude du travail en groupe: modestie, calme, patience, contrôle de soi, et à l'inverse, le travail en cérémonies populaires débridé développera le spectaculaire, l'orgueil, l'égocentrisme et parfois même, l'agressivité.

- dans les ballets, le nouveau venu, doit se mettre sous l'autorité, la protection d'un ancien. Il apprend ainsi à connaître sa place dans le groupe et dans son environnement social. Le fait d'appartenir à une communauté d'artistes lui permettra de s'élever socialement, de sortir de l'anonymat, de bénéficier d'un réseau d'amitié dans une certaine ambiance de convivialité.

- le batteur issu des cérémonies populaires, non encadré, livré à lui-même, est soumis aux mille et un tracas des rivalités entre musiciens, liés le plus souvent à des problèmes d'ordre pécuniers. On constate alors des comportements beaucoup plus vindicatifs et conflictuels, des tendances flagrantes à la mégalomanie et à la paranoïa, que l'on retrouvera tout au long de sa carrière. Bien entendu la circulation entre les deux états est constante et inexorablement, un bon batteur de "quartier" aura un jour sa chance dans un grand ballet. Le problème est exacerbé quand le jeune batteur n'achève pas sa formation, trop vite sollicité par l'étranger.

François Kokelaere et Nasser Saïdani
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