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Les Années Djembe (1er partie)

 
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François Kokelaere
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MessagePosté le: 24 Mar 2002 19:30    Sujet du message: Les Années Djembe (1er partie) Répondre en citant

Les années 90 ont vu l'explosion de l'engouement pour les "percussions Mandingues" et pour son instrument de prédilection: le djembé (1).

C'est en raison d'une forte demande, dans un premier temps indissociable de la danse africaine, que les grands chefs-tambours africains ont pu s'expatrier à travers le monde et divulguer leur art. D'autre part, l'accessibilité plus grande aux sources, due à la progression des moyens de communication et de transport, ont fait que les européens se rendent de plus en plus fréquemment en Afrique. Cette circulation a permis une démystification de l'instrument ainsi qu'une clarification de son environnement culturel, historique et contemporain. Détourné de son propos originel, l'instrument subit au contact des différentes cultures, une véritable mutation, qui le sort de son contexte culturel habituel. On constate une progression considérable du niveau des musiciens; le djembé apparaît aujourd'hui comme un instrument "à part entière" avec sa propre technique de jeu sophistiquée mais aussi, avec son histoire, sa culture et ses différents courants.

I) Le chemin du Djembé

Le djembé est devenu aujourd'hui un instrument à part entière, joué dans le monde entier, enseigné par des professeurs qui ne sont pas toujours africains. Quel chemin a-t-il parcouru à travers les siècles, par quelles méandres est-il passé pour se frayer un passage dans la culture
occidentale? Quelle fut son évolution et quels effets, quelles conséquences cela suppose, tant sur le plan musical que sur le plan culturel et socioculturel en général? La culture étant considérée comme: "l'expression de la sensibilité d'une société, dans un contexte socio-économique et politique donné; cette sensibilité supposant des comportements individuels et collectifs particuliers". Le djembé n'est-il pas devenu, à son tour, sinon la cause, du moins le véhicule de beaucoup d'évolution et pourquoi pas, à plus long terme, de changement qui dépassent le cadre purement musical?

L'évolution liée à cet instrument, du fait de la médiatisation propre à notre époque et à nos sociétés dites avancées, parait recouvrir un caractère irréversible. Le fait que cet instrument de musique, donc de communication, soit maintenant pratiqué aussi bien en Afrique, dans son pays d'origine, qu'à travers le monde, l'a fait passer du stade de langue (musicale), à celui de langage. La langue étant entendue comme : "l'expression d'un peuple" et le langage " un moyen d'expression et de communication, sur la base d'un système de signes, phoniques ou graphiques" (Cf Dictionnaire Quillet-Flammarion). La signification des rythmes était autrefois uniquement liée à la vie traditionnelle, à une dimension symbolique où les rapports avec les éléments naturels étaient présents (fêtes liées à la vie des champs, rites de circoncision, d'initiation, etc..) et l'instrument ne sortait pas de son contexte ethnographique. Mais, à partir du moment où la musique a commencé à voyager, où elle s'est trouvée extraite, déconnectée de son contexte original, et donc, où elle fut mise en contact avec d'autres influences (musicales et culturelles), elle a subi une véritable mutation et est devenue "langage", adoptant ainsi comme première fonction, la communication mais sous la forme nouvelle de représentation.

- La mutation

Déjà, au moment de la création des ballets, dans les pays d'obédience marxiste, cette musique et cet instrument étaient utilisés pour servir et véhiculer un idéologie politique. A partir de là, l'instrument a été pris pour sa propre valeur phonique, pour ses qualités sonores, le plaçant ainsi dans une situation nouvelle. Du moment où les africains ont commencé à faire connaître le djembé en Occident et que réciproquement, les occidentaux ont montré un engouement croissant pour cette musique (pour des raisons principalement psychologiques, notamment la recherche de formes nouvelles d'expression culturelles et le besoin de libérer une énergie vitale emprisonnée dans le carcan édifié par la religion judéo-chrétienne et sur ce point, il faut souligner l'importance du djembé lié à la danse d'expression africaine, le goût pour l'exotisme, etc...) on peut dire qu'il s'est produit simultanément deux effets:
- Le premier, c'est la rencontre de deux mondes qui a permis un enrichissement mutuel, une meilleure connaissance réciproque et donc un plus grand respect de part et d'autre car cette rencontre va au-delà du phénomène musical, c'est aussi une rencontre sur le plan humain
- Le second, c'est que le regard nouveau des occidentaux sur l'Afrique à travers sa musique (et sa culture en général) a permis la prise de conscience de la part des africains de leurs propres valeurs culturelles; c'est ainsi qu'a émergé parmi eux le concept occidental de culture, ou en tout cas, de discours culturel. Les deux mondes se sont rencontrés avec l'un pour l'autre, des regards différents: les occidentaux sont attirés par la dimension traditionnelle de l'Afrique alors que les africains, le sont par la modernité de l'Occident.

On est passé de l'universalité propre aux musiques traditionnelles, à l'internationalité du djembé pour lui-même. Celui-ci a, en quelque sorte, perdu le lien exclusif qu'il entretenait, sinon avec la dimension symbolique, sacrée, du moins avec la réalité culturelle, avec sa force créatrice, pour se transformer peu à peu en une valeur matérielle donc quantifiable et monnayable.

L'instrument est maintenant - pas uniquement mais principalement - en Occident en tout cas, un acteur "spectaculaire", au sens propre du terme dans la fonction théâtrale de la représentation (et non plus de la création; le caractère symbolique de l'instrument (sacré-secret) a laissé en quelque sorte place au caractère rationnel. En Occident, le djembé est médiatisé; il est mis à la portée de tous par un "discours" mais ces rythmes traditionnels enseignés, n'ont plus de lien avec le vécu et ils sont surtout reproduits avec un rapport au temps et à l'espace, complètement différent, du fait de philosophies différentes. On décortique par la pensée; les rapports entre le musicien et l'instrument s'en trouve changés; l'énergie qui les unit, le plaisir de jouer et l'émotion produite, également. C'est ainsi que le djembé, bien que restant physiquement le même, devient peu à peu un autre instrument: le son, c'est à dire la charge émotionnelle est différente car le musicien n'est plus habité par la tradition, les rythmes ne correspondent plus à son vécu. Par ailleurs, en Occident, l'instrument n'est pas pris dans sa globalité, dans toute sa dimension; ceci nous amène à considérer l'accompagnement qui est vidé de son essence, du fait qu'il n'y a pas d'accompagnateur qui "porte" car il n'y a pas de vision collective et solidaire du jeu musical, laquelle génère l'esprit de cette musique. L'accompagnateur se considère comme "inférieur" il voudrait tout de suite faire le solo (se croyant parfois être soliste ou voulant l'être)et n'a pas de patience. N'étant pas soutenu par l'accompagnement, le soliste tendra à "charger" plus, à être plus technique et démonstratif. L'accompagnement est pourtant capital et l'accompagnateur en est la charpente; il permet une complicité, chacun est à sa place et se respecte mutuellement; la musique est structurée comme au plan social. On ne devient pas soliste tout de suite, on a beaucoup à apprendre auparavant et les choses se font par étape avec du temps, de la patience et de l'humilité.

- La transmission du savoir

C'est le grand clivage de la transmission du savoir et de la connaissance:

- En Afrique :

La transmission du savoir et de la connaissance se fait par mimétisme et "immersion". On ne "montre" pas en détaillant les notes, les figures rythmiques, l'apprenti doit se débrouiller tout seul et par le fait d'une sélection quasiment naturelle, seuls les plus motivés arrivent à apprendre et à comprendre. Chacun progresse à son rythme et le temps d'apprentissage importe peu car l'apprenti est intégré à la cellule familiale de son maître.

L'apprenti moins doué que les autres, devient "accompagnateur" s'il ne ne peut accéder au rôle de "soliste" mais ceci n'est pas vécu comme un échec mais bien comme une complémentarité de fonction au sein d'une entité (sociale, familiale, musicale) ou chaque individu a la place qui lui convient vraiment, en fonction de ses moyens techniques et psychologiques.

L'enseignement n'est pas rémunéré mais l'apprenti doit rendre des services d'ordres familiaux et sa présence comme accompagnateur lors de cérémonies permet au maître de disposer, à souhait, d'un accompagnateur non-rémunéré. L'apprenti devient plus un fils qu'un élève, un parent, intégré à la vie communautaire. L'apprentissage n'est jamais dissocié de son contenu culturel; autant dans son domaine "sacré" que "profane", il a une valeur symbolique mais aussi cosmique car il est relié aux grands secrets de la cosmogonie africaine. L'enseignement de la musique, comme beaucoup d'autres disciplines, est un "tout" où tous les aspects nécessaires à l'apprentissage de la vie en société sont abordés? Un peu à la manière des Compagnons du Devoir dans l'Europe du Moyen-âge. On y apprend un métier mais aussi, une façon de vivre. L'apprentissage, l'étude n'est pas dissocié de la réalisation immédiate. L'apprenti apprend en jouant directement avec son maître et ne travaille jamais son instrument seul. Ce phénomène ajoute à la dimension conviviale de la musique, la notion de plaisir. Pour le musicien africain, peiner en travaillant seul son instrument dans son coin parait un non-sens. La créativité n'est pas pensée comme en Europe car la fonction de la musique est différente.

- Dans le domaine profane, le rôle du musicien n'est pas de se valoriser mais de soutenir un chanteur, un danseur ou un travailleur. On ne lui demande pas de montrer sa virtuosité mais plutôt d'assurer son rôle de soutien.

- Dans le domaine sacré, on lui demande de respecter très précisément les codes connus des initiés et d'accompagner les "prêtres", les féticheurs dans leur extase. Les codes, les gammes, les tonalités sont établies une fois pour toutes et l'interprétation se fera à l'intérieur d'un cadre extrêmement structuré. Le musicien traditionnel ne compose pas, il reproduit des airs, des rythmes, dont l'origine se perd dans la nuit des temps et dont la transformation se fait très lentement au gré des rencontres et des flux migratoires des populations. C'est une introversion, une introspection, permanentes: son rôle est de perpétuer l'histoire de son peuple.

- En occident
Le temps est compté et l'apprentissage se fait à base de programmes avec une certaine distance entre le maître et son élève. L'argent (vecteur anonyme) sert de valeur d'échange. La relation et la communication sont réduites à leur plus simple expression. La musique devient écrite et le musicien perd son "corps" pour devenir "esprit". La réhabilitation du corps dans la pédagogie moderne est très récente, à peine une vingtaine d'années. L'enseignement est devenu une accumulation de signes sur un papier, qui s'adresse à l'esprit et une appréciation subjective et romantique de la forme. Cette situation a eu pour objet de créer des générations de musiciens, hyper-techniciens, mais "sans corps", caractériels et fragiles socialement et psychologiquement. Le professeur devient un technicien qui transmet une technique avec méthodologie. On donne à l'élève toutes les clefs qui lui permettront de devenir à son tour, compositeur. C'est une extraversion qui valorise l'individu-interprète davantage que le propos qu'il véhicule. On constatera donc que le propos musical est radicalement différent en Afrique et en Occident. Bien entendu, nous faisons allusion ici aux musiques "vivantes", jouées par des musiciens et non pas aux musiques "mortes" que l'ont peu entendre dans les "boîtes de nuit" par exemple.

- L'influence de la médiatisation

Malgré tout, la médiatisation a permis la rencontre de deux mondes, deux sensibilités différentes, découlant de deux rapports au temps et à l'espace, différents (l'aspect de l'accompagnement que j'évoquais plus haut est pour cela révélateur). Le temps en Occident est considéré dans sa durée et l'espace rejoint le temps alors qu'en Afrique, on a une conception de l"Ici et Maintenant"; en cela l'oralité de la culture africaine s'oppose à l'écriture occidentale. En Occident, on gère, on économise dans la durée parce que l'on "a"; en Afrique on vit l'instant parce que l'on "est". La médiatisation qui suppose une organisation dans le temps et l'espace a pour effet de faire rentrer le djembé dans une dimension, non plus symbolique ou sacrée, mais économique, logique, rationnelle, par la mémoire, qui est la gestion du temps. Les Africains eux-mêmes sont en train de se placer dans une logique de la mémoire par la technique et non plus par les individus (griots entre autres) parce qu'ils sont maintenant conscients "d'avoir". Dorénavant, les rapports au Temps et à l'Espace se rejoignent du fait des progrès techniques et le monde tend en conséquence, vers un métissage forcé. On peut parler de fusion, de complémentarité; à long terme, nous pensons que l'on aboutira à une situation commune, de la même façon que nous tendons vers une "mondialisation" de l'économie et que l'on voit émerger de plus en plus, une sorte de conscience planétaire. Lorsque l'humanité sera parvenue à un métissage complet, que les frontières ne seront plus que des lignes sur des cartes et chaque homme, dans quelque point géographique du monde où il se trouve, aura accès aux "autoroutes de l'information", nous arriverons à une langue musicale commune car la sensibilité le sera aussi.

Quoiqu'il en soit, cette évolution semble non seulement, irréversible mais encore légitime et nécessaire. Si l'Afrique veut entrer dans le grand jeu de l'économie mondiale, il lui faudra aller à son rythme, en négociant progressivement le délicat virage de la "modernité", en gardant son identité et sa spécificité, en restant vigilante à ce que cela ne se fasse pas au détriment de ses propres valeurs comme cela fut le cas en Occident où irrémédiablement, les musiques traditionnelles sont devenues des pièces de musée. On constate que c'est dans les pays les plus pauvres économiquement et les moins développés industriellement, que l'on trouve encore des musiques traditionnelles vivantes. Quand les populations ne sont pas encombrés de biens matériels, elles se donnent et s'identifient totalement à leur musique et la musique le leur rend bien; elle nourrit leur âme et les relie au divin. On peut établir un parallèle avec la danse: lorsqu'il n'y a pas d'obstacles physiques, le corps est en harmonie avec l'espace. C'est du degré de spiritualité du musicien que va dépendre l'esthétique d'une musique (l'exemple du balafoniste El Hadj Djéli Sory Kouyaté illustre bien ce rapport entre musicalité et spiritualité), la musique sera d'autant plus belle qu'elle sera spirituelle.

Les Africains veulent "avoir", "posséder" et les Occidentaux, blasés de tout avoir, veulent "être". Beaucoup se tournent vers l'Afrique ou les cultures traditionnelles (quand ce n'est pas vers les sectes ou les religions exotiques), du fait de la crise morale et spirituelle dont ils souffrent. Méticuleux, laborieux et organisés, ils se chargent de restituer, de sauvegarder le patrimoine africain, conscient d'avoir de vrais joyaux entre leurs mains et leurs oreilles, et enregistrent, répertorient, notent, cataloguent, classent les rythmes et les polyrythmies. Ainsi sont préservés par des moyens rationnels, les "formes" de la musique. Par le côté "naturel" du tambour fait de matière simples, bois, peau, corde, fer, dont la fabrication est accessible à tous, les Occidentaux se sentent reliés aux éléments naturels, qui leurs font de plus en plus défaut dans les grandes villes occidentales, et réconciliés avec le sacré. Faut-il rappeler la forme de coupe, de vase de l'instrument riche de signification dans la culture judéo-chrétienne. Le tambour reçoit autant qu'il peut "verser", donner.

Tel un "Graal", il prend soudain une dimension d'universalité... Mais le piège du "matériel" guette les batteurs expatriés et l'appât du gain facile leur fait peu à peu perdre le "contenu" de leur art qui s'édulcore et se vide de son sens. Leur musique s'en ressent et s'appauvrit au fur et à mesure qu'ils s'enrichissent. Ils "prennent" mais ne "donnent" plus. Par le jeu de la rencontre, le djembé se transforme. Le djembé et tous les tambours joués à pleine main ont des résonances profondes dans le corps et leur expressivité n'en est que plus grande. Il va jusqu'au plus profond de l'être. Quand le musicien en joue, c'est tout son corps qui s'investit et qui est ainsi dévoilé.
Le tambour réconcilie l'Être avec lui-même en lui faisant redécouvrir la valeur intrinsèque du Temps car à travers les rythmes musicaux et les cycles des pulsations, c'est le rythme de la vie qui s'écoule; sa respiration, son écoute, ses battements de coeur, son énergie.

L'Homme et le Tambour ne font alors plus qu'un avec le Temps. La valeur formatrice majeure de la musique traditionnelle et du tambour djembé en particulier, est qu'elle est une école de patience et de l'humilité, du moins dans son contexte convivial, les données étant radicalement différents avec l'accession des grands batteurs au vedettariat. Le djembé est avant tout un instrument de communication et on ne peut pas tricher avec lui et avec soi-même. Le musicien ne peut pas mentir avec son instrument: il joue, il "est" ou il "n'est" pas!

François Kokelaere et Nasser Saïdani
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